Se confronter à Fast and furious 7, c’est se confronter soudain à son propre néant et à ses propres démons : d’où viens-je, qui suis-je, pourquoi regardè-je cette merde tout en étant conscient de le faire (vous avez deux heures) ? C’est vertigineux, c’est proprement abyssal comme questionnements… C’est faire aussi l’expérience de la souillure, l'apprentissage de la boue, éprouver les limites de son ouverture d’esprit… Il faudrait donc inventer un mot qui viendrait après l’indigence, qui signifierait l’au-delà de l’indigence, mais ce mot n’existe pas encore, alors ce mot sera un film, et ce film c’est celui-là : c’est Fast and furious 7. Le plus terrifiant (et inconcevable) dans cette tragédie (oui, c’en est une), c’est d’apprendre que ce nanar tendance lourde est le troisième plus gros succès de tous les temps au box-office mondial.
Certes, tous les goûts sont dans la nature, mais la nature n’a vraisemblablement pas l’apanage du bon goût, ou pas tout le temps, ou pas chez tout le monde… Et tenter de relever toutes les tares du film reviendrait à vouloir sonder le vide intersidéral avec une paire de Tchin Tchin : rien, absolument rien, ne nous est épargné en termes de débilité, de vulgarité, de beaufitude, de clichés, de sentimentalisme dégoulinant, de machisme néandertalien, d’opportunité posthume nauséabonde (Paul Walker en martyr de la route, canonisé comme on tune une Peugeot GTI chez un garagiste picard) et de valeurs rétrogrades camouflées sous la défroque d’un blockbuster rutilant.
Quant à Vin Diesel et Jason Statham, que dire... et les mots me manquent, totalement ("Les plus beaux mots du monde ne sont que de vains sons, si on ne les comprend pas"). Quand ils se donnent la réplique, quand ils échangent convulsions et borborygmes, on atteint à du grand art (primitif), à une espèce de cosmogonie bovine, de quintessence du veau. OK, les bougres ne sont jamais aidés par des dialogues capables de redéfinir entièrement les notions théoriques de l'ineptie, mais leur faire déclamer du Shakespeare ou du Beckett n’aurait, de toute façon, pas servi à grand-chose. Il faut pouvoir s’imaginer Diesel en Estragon beuglant "Mais quel samedi ?! Et sommes-nous samedi ? Ne serait-on pas plutôt dimanche ? Ou lundi ? Ou vendredi ?" et puis rire, ou pleurer, ou les deux peut-être, ou se dire que notre système nerveux est en train de fondre.
Un détail aussi, oh, trois fois rien : personne n’a remarqué que c’était un gros film de gays ? Entre Diesel et Statham qui aiment à se rentrer dedans (de face ou Diesel on top), Diesel et Michelle Rodriguez qui ne s’embrassent jamais (ou alors du bout des lèvres, comme révulsés), une camaraderie virile jamais loin de se terminer en concours de bifles et une bande-son de cailleras bling-bling en vacances à la Grande-Motte qui donnerait des envies de meurtre à tout rappeur qui se respecte, le film est une ode crypto-vibrante aux amitiés masculines non assumées. En tout cas quand Diesel et Statham se regardent droit dans les yeux avec une ferveur (ba)lourde de sens, on a franchement l’impression de mater une production Falcon (un truc du genre Chauffe-moi les pistons, mec) où ces deux-là en sont encore aux préliminaires et ne vont pas tarder à se bouffer le cul. Enfin un peu d’action.