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Spectre

Ah, ce ravissement quand résonnent cuivres et trompettes de la séquence du gun barrel, enfin remise en début de film… Ouverture d’anthologie de l’ordre du frisson, quasi de l’extase, annonçant les hostilités à venir qui déboulent illico lors d’une séquence pré-générique spectaculaire (un final à elle toute seule) dans les rues et le ciel de Mexico. Emballé, torché, pesé, top générique (assez laid, sur une chanson assez laide de Sam Smith, soupe pour Eurovision à vocalises suraiguës). Spectre ira ainsi, classieux (la photo de Hoyte Van Hotema, superbe) et claudicant, alternant pertes et fracas jusqu’à cette conclusion poussive à Londres frisant parfois le ridicule (l’hélicoptère abattu à coups de Walter PPK à plus de deux cent mètres de distance : c’est plus James Bond le mec, c’est Steve Austin).

Reprenant là où s’était terminé Skyfall (la mort de M) et venant clore l’arc narratif de la tétralogie initié par Casino Royale, Spectre s’avère inutilement long, étirant une sous-intrigue informe à base de politique de surveillance mondialisée quand la traque contre la célébrissime organisation Spectre (présente dès Dr. No) suffisait à l’affaire en capitalisant non seulement sur un héritage emblématique, et même esthétique (Blofeld, sa cicatrice, son col Mao et son chat blanc), mais sur une réactualisation de celui-ci à l’ère Craig, plus sérieuse, plus saignante et plus sombre (même si Permis de tuer s’était déjà risqué à de telles dispositions). Mais non : les scénaristes préfèrent se reposer sur le succès colossal de Skyfall en gribouillant un piètre décalque de celui-ci qui, de toute façon, souffrait des plus ou moins mêmes scories que celui-là (longuet, des raccourcis, des incohérences).

Et puis se payer le luxe d’une Monica Bellucci bellissima pour finalement la réduire à une bourgeoise endeuillée que l’on savoure à peine cinq minutes, quelle hérésie, quel affront, quel chagrin ! Quand elle s’avance dans les pièces de sa villa au son du Cum dederit de Vivaldi, des tueurs apparaissant derrière elle au fur et à mesure, c’est simplement magnifique, c’est d’une élégance folle, et serait-ce là la plus belle scène du film ? Son personnage de veuve énigmatique offrait la saveur d’un film noir retrouvant le venin et le glamour old school des premiers Bond ; à défaut, on se tape une Léa Seydoux falote (qui, elle, a le glamour d’un shaker à vodka martini) dont il faudrait croire que Bond tombe éperdument amoureux, pourchassé par un simili demi-frère revanchard cessant toutes activités criminelles pour atomiser son simili demi-frère queutard. Why so ridiculous?

Tant qu’il reste, littéralement, dans l’ombre, Christoph Waltz sait se montrer troublant et inquiétant, mais qu’on le place soudain à la lumière et s’en est fini de la fascination que l’on pouvait éprouver pour le plus méchant des méchants de la planète (le secret n’en a jamais été un : oui, Franz Oberhauser EST Ernst Stavro Blofeld). C’est sans doute la réunion du Spectre à Rome qui constitue le vrai morceau de bravoure du film, jouissif, flamboyant et dans un pur esprit bondien, avec l’entrée remarquée (sinon remarquable) de M. Hinx (colosse assassin peu bavard tout aussi mal exploité que Lucia Sciarra), sorte de quintessence des innombrables hommes de main qu’a vu défiler la saga (d’Oddjob à Zao en passant par Necros), et dont le combat avec Bond dans le train rappellera furieusement celui contre Jaws dans Moonraker ou celui, mythique, contre Red Grant dans Bons baisers de Russie.

Maigres pitances pour un James Bond inégal, au potentiel bâclé, mariant le meilleur comme le pire (faut-il vraiment parler du coup de la souris ou de cette séance de torture grotesque où Blofeld ressemble davantage à un dentiste du 16e qu’à un éminent génie du mal ?) et venant sonner le glas pour un Daniel Craig visiblement fatigué, de moins en moins inspiré (hello Damian Lewis ? Henry Cavill ?) et engoncé dans des costumes de plus en plus riquiquis. Un adieu aux armes, en définitive : "Quant à moi, je ne faisais plus partie des acteurs de la comédie, et je ne souhaitais qu’une chose, (…) cesser de penser. Il faudrait cesser, absolument". Ouais, ce serait pas mal en fait.


Sam Mendes sur SEUIL CRITIQUE(S) : Away we go, Skyfall, 1917, Empire of light.

Spectre
Tag(s) : #Films

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