Jeff Nichols avait déjà tâté, plus ou moins, du fantastique dans Take shelter ; cela restait en filigrane, un pressentiment, coincé quelque part dans la tête de Curtis entre tourments et hallucinations. Cette fois il y va carrément, Nichols, il ose, bien décidé à faire son Furie, son Starman, son Rencontres du 3e type à lui. C’était tentant bien sûr, ça s’annonçait bien, sauf que Nichols, égaré dans ses références et ses souvenirs de cinéma quand il était gosse, en oublie la substantifique moelle de son film, celle d’incarner en entier et jusqu’au bout l’idée d’une science-fiction (celle d’avant, celle des années 80), l’idée d’un fantastique "réinventés" avec maestria pour, au final, les revisiter trop simplement et sans éclats (avec, certes, un classicisme d’une belle tenue dans la mise en scène comme dans les effets spéciaux).
Histoire d’une fuite en avant, d’un père traqué (par le FBI et une secte de néo-évangélistes) protégeant son fils doté de pouvoirs exceptionnels (super-héros, Messie, Antéchrist ?), Midnight special a pour lui un refus du spectaculaire et d’émotions assénées à la louche. Mais, balloté entre un sérieux flirtant avec l’assentiment critique et une candeur parfois dissonante (surtout lors du dénouement, décevant, qu’il eut fallu plus sobre, ou plus dur peut-être), Midnight special semble hésiter sur ce qu’il doit faire et comment le faire, pour se borner in fine à une série B anecdotique et consciencieuse, toute encombrée des splendeurs de son idéal revendiqué (Rencontres du 3e type) auquel on ne cessera de penser, et jusque dans la ressemblance Claude Lacombe / Paul Sevier.
On dit toujours que la destination (ici cette conclusion peu probante manquant d’un vrai souffle, d’une vraie intensité) importe moins que le voyage, intrigant et périlleux, émaillé de plusieurs séquences impressionnantes (celle de la fusillade, celle dans les champs…). Mais les mystères du début, engageants, se délitent au fur et à mesure des révélations sans que Nichols ne réussisse à en tirer autre chose qu’une démarche narrative par simples étapes-clés et événements strictement signifiants, désamorçant l’envie d’un film prêt à quelques audaces, à plus d’originalité, des embardées soudain. Pure tentation d’œuvre fantastique, parabole de l’angoisse parentale face à l’enfant qui se meurt, objet de genre consacré à ses modèles, Midnight special s’avance en flux tendus puis se ratatine quand il faut passer aux choses sérieuses.
Jeff Nichols sur SEUIL CRITIQUE(S) : Take shelter, Mud, Loving.