Le fait est historique : Louis XIV, suite à une douleur à la jambe, mourra un mois plus tard des conséquences d’une effroyable gangrène. C’est ce long mois de souffrances et d’agonie que met en scène Albert Serra dans un raffinement de déclinaisons de pourpres, de noirs et de blancs qu’auraient, très sûrement, estimé Rembrandt ou van Dyck. Mais ce faste dans les images ne saurait dissimuler cette vérité qui désole et émeut la Cour, celle du travail de la décrépitude, du déclin d’un empire contraint à la couche, limité à la douleur, du ballet à son chevet de médecins incompétents, de charlatans onctueux et d’ecclésiastiques contrits.
Serra ne filme pas un Roi, il filme un mourant, un zombie. Le noir de son pied et de sa jambe, rongés par la gangrène, contraste avec la pâleur de son visage encadré de perruques toujours plus extravagantes, et la pourriture à l’œuvre avec les ors de Versailles réduit à une chambre, sombre comme un tombeau. D’une lenteur fascinante (qui, parfois, s’y complaît peut-être un peu trop, comme un gage d’austérité un rien péremptoire), La mort de Louis XIV s’emploie à rejouer le trépas du Roi comme sur une scène de théâtre (ce lit central et surélevé) et comme la volonté de ramener chacun, même puissant, à sa condition de mortel, de poussière. Mortel qu’on dissèquera plus tard sans ménagement, soupesant rate et intestins avec admiration. Sa Majesté n’est plus, ou seulement viscères.
Louis, c’est Léaud, Jean-Pierre Léaud, étincelant dans l’abîme funèbre. Il est souverain, évidemment, sans beaucoup de texte à dire, plutôt mutique et haletant. Léaud n’a qu’à marmonner, il irradie pourtant. Il irradie même dans l’incarnation du martyr. Il paraît ici en terminer avec sa propre légende, et pour ça Léaud râle, Léaud gémit, Léaud vagit… Il veut de l’eau, mais dans un verre en cristal. Il n’a plus faim, sinon pour du bouillon et du potage, un peu de vin d’Alicante et quelques biscotins qu’il mâche et déglutit comme une vache. Voilà, Léaud fait admirablement la vache, comme personne. Et quand il meurt à la fin, et que l’on retient son souffle, c’est en semblant nous regarder.
Albert Serra sur SEUIL CRITIQUE : Liberté.