Le roman de Pierre Lemaitre, lauréat du prix Goncourt en 2013, a quelque chose de presque inadaptable en soi. Il est un tourbillon d’enjeux, de situations et de personnages qui le rendent échevelé et foisonnant, et donc difficile à synthétiser en un simple scénario de cinéma. Albert Dupontel, rarement frileux quand il s’agit de relever des défis, ne s’en est visiblement pas formalisé et a réussi, avec l’aide de Lemaitre lui-même, à en affiner la mécanique narrative, quitte à parfois sacrifier les personnages (c’est principalement le cas pour celui de Madeleine), à réduire la cruauté et la densité tragico-romanesque du livre à un grand-spectacle privilégiant avant tout performance et excentricité (on n’est jamais loin d’ailleurs d’un Jean-Pierre Jeunet qu’on aurait exhumé d’un vieux carton).
Cette histoire de deux soldats revenus des tranchées de la Première Guerre mondiale, dont un affreusement défiguré suite au sauvetage de l’autre, et qui décident ensemble de monter une arnaque aux monuments aux morts, entraîne tous ses protagonistes dans un tourbillon de péripéties, de drames, d’humour et d’humeur vengeresse (jusqu’à cette fin remaniée et expéditive un peu trop pratique). Les acteurs sont aux petits oignons (Nahuel Perez Biscayrat, derrière de jolis masques, sait être émouvant et expressif rien qu’avec son regard, et Laurent Lafitte, en salaud intégral, est nettement plus convaincant que dans Elle) et Dupontel filme comme il respire avec cette énergie, cette boulimie cinéphiliques qu’on lui a toujours connu.
C’est fait avec moult luxe et détails, c’est rythmé et c’est emballant, ça veut dénoncer et parler de tout (la guerre, l’arrogance des puissants, le sort misérable des soldats et des gueules cassées, l’amitié, l’amour familial et l’inexorabilité du destin…). Le travail sur l’image, les costumes et la mise en scène (un rien désuète quand même dans ses innombrables effets de caméra, et finalement peu inventive avec ces travellings impossibles et ces prouesses visuelles portées par ce tout-numérique que l’on retrouve, d’Hollywood à Bollywood, dans n’importe quelle grosse production un tant soit peu élaborée) est certes remarquable, voire irréprochable sur certains points, mais Au revoir là-haut ne dépasse jamais le stade du divertissement haut de gamme sans conséquences et sans vertiges, pour passer le temps. Pas plus, pas mieux. Mais c’est déjà pas mal.
Albert Dupontel sur SEUIL CRITIQUE(S) : Le vilain, 9 mois ferme, Adieu les cons.