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A beautiful day

Joe est un fils aimant et attentionné, Joe va au sauna, Joe aime bien manger des bonbons, Joe est un ancien militaire, Joe ne va pas bien dans sa tête, Joe est un tueur au marteau que l’on paie pour exécuter de basses besognes, par exemple aller arracher une jeune fille des griffes d’un réseau de pédophiles. Alors Joe exécute. Lynne Ramsay raconte ça et seulement ça (pas de croisée rédemptrice, pas de figure du Bien ni d’épopée sacrificielle) sans chercher à s’éterniser, à enjoliver le tout ; un ours sauvage sauvant une nymphe que l’on retient prisonnière (pour rester soft), tel un conte où, derrière l’apparente neutralité du récit, se devine des motifs inconscients plus durs et plus terrifiants redéfinissant les contours d’une enfance en petits morceaux (celle de Joe comme celle de Nina, et comme celle de James dans Ratcatcher) ou parasitée par le Mal (Kevin dans We need to talk about Kevin).

Son scénario, adapté du roman de Jonathan Ames, est creusé dans un bout d’os (à peine encombré de ces traumatismes à la pelle qui auraient gagné à ne se résumer qu’à un seul, et non plus à trois, parce que trois ça fait quand même beaucoup pour un seul homme) que sa mise en scène vient ciseler à coups de ruptures et d’éclats (réalisme froid, scènes oniriques, violence sèche…), magnifiés en retour par celles et ceux des modulations de Jonny Greenwood. Il faut bien sûr pouvoir aimer ce genre de cinéma qui se construit par blocs de sensations pures et sur une micro intrigue dont l’intérêt se situe d’abord dans ses creux et ses déliés.

Accusée de soi-disant prétention arty (Les cahiers du cinéma, risibles, évoquant même à propos du film un "mépris ultra-bourgeois du cinéma"), Ramsay filme pourtant sans apprêt, avec les tripes, presque à l’instinct, dans un style à la fois rugueux et lyrique ; la violence y est souvent hors-champ, débarrassée de la moindre envie de spectaculaire, et les fugues esthétiques sont travaillées par cette volonté de s’assortir, de s’imprégner de l’état psychique tourmenté de Joe. Revisitant à sa façon les codes du vigilante movie et du tueur à gages impitoyable, Ramsay s’en sert puis s’en détourne pour composer l’errance, physique et psychologique, d’un homme qui semble ne plus avoir sa place nulle part. Errance dans un New York aux airs de bête endormie, de l’enfance à l’âge adulte, d’hier à aujourd’hui, de la vie à la mort (et inversement).

C’est aussi un film de corps (et qui en a), de corps en mouvement, de corps dont on abuse, qui transpirent ou qui étouffent, qui saignent et qui agonisent (superbe scène dans la cuisine, terrible puis soudain émouvante), de corps qui veulent disparaître et qui ne sont plus là ("Tu n’étais jamais vraiment là", annonce le titre original du film), frêles (Nina, la mère de Joe) ou plus robustes (Joe, les hommes de main du sénateur Williams). De corps qui s’imposent, de corps qui bouffent l’écran (Joaquin Phoenix, marmoréen). De corps qui ont gardé sur soi les stigmates du passé (et inscrivent ceux du présent), de corps à l’âme tourmentée, apaisée enfin (peut-être) par la promesse d’une journée, d’une belle journée qui s’annonce après le fracas des morts et la fièvre des vieux démons.


Lynne Ramsay sur SEUIL CRITIQUE(S) : We need to talk about Kevin.

A beautiful day
Tag(s) : #Films, #Cannes 2017

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