L’autre jour tu tombes sur la bande-annonce du prochain Halloween mis en scène par David Gordon Green, réalisateur de l’affreux Stronger, et donc tu te dis que ce serait bien de regarder le Halloween originel que tu n’as jamais vu, celui de 1978 réalisé par John Carpenter et qui, pour toujours, allait (im)poser les bases inamovibles des hordes de slashers à venir (tueur le plus généralement masqué et qui ne meurt jamais même quand tu crois l’avoir zigouillé pour la centième fois, minets libidineux et jolies filles un peu cruches qui se font trucider à la chaîne, etc.). Et puis Carpenter quoi (New York 1997, The thing, Christine, L’antre de la folie…), et puis Jamie Lee Curtis, et puis Donald Pleasence, et puis ce thème musical d’anthologie, et puis le mythe Myers, et puis tout ça.
Sauf que tu n’avais pas envisagé une seule seconde la déconvenue et la dangerosité du truc : ne pas du tout aimer le film et, accessoirement, déchaîner la colère sans nom des fans. Parce qu’on ne s’attaque pas comme ça à un film culte, un film culte ça se respecte, ça s’idolâtre, ça se lustre. Cracher dessus d’accord, mais tu le gardes pour toi, tu gères dans ton coin. Certes, il faut remettre le film dans son époque et son contexte, mais le découvrir aujourd’hui, quarante ans après sa sortie, relève d’une espèce de supercherie et de punition. Sans doute novateur en son temps, Halloween n’a plus grand-chose de glorieux, simplement démodé, terriblement vieillot.
Tu veux bien admettre que le film ait marqué des générations, qu’il est celui par lequel tout a commencé (et encore, on pourrait évoquer Massacre à la tronçonneuse en 1973 et Black Christmas en 1974), que Jamie Lee Curtis est adorable et presque drôle avec ses fameux cris qui lui vaudront, après Fay Wray, le titre indiscutable de scream queen, mais diantre que c’est nul, que c’est ennuyeux, que c’est lourdingue… Si le film a établi les règles du slasher, reste qu’il ne vaut finalement pas mieux qu’un autre slasher puisque ces règles, inaugurales ou pas, codifiées ou pas, de genre ou de sous-genre, sont quand même assez tartes (Scream, sur ce point, est une réussite puisque le film tournera en ridicule ces règles tout en les magnifiant).
Ici il ne se passe pratiquement rien pendant plus d’une heure, sinon trois copines qui minaudent (en cours, dans la rue ou au téléphone) en se demandant avec quel garçon elles vont y passer ce soir, et tous les personnages principaux, sans intérêt ni psychologie, ne suscitent qu’une vague empathie pas plus probante que pour un chat crevé. La bande originale (en omettant le thème principal) se résume à trois notes de synthé jouées en boucle et les supposés frissons à des apparitions répétitives et lassantes de Michael Myers. Myers derrière une haie, Myers derrière une porte, derrière une vitre, derrière des draps qui sèchent, dans un coin du décor ou de la caméra… Myers qui se contente d’être là, immobile, imperturbable, même pas flippant, comme une plante verte qu’on change de place entre chaque prise ou un épouvantail qui veut jouer à cache-cache et qui, visiblement, a de gros problèmes de vue (ratant systématiquement Laurie avec son gigantesque couteau, mais puisque c’est la seule qui n’a pas couché…).
Au moins Jason, Freddy et Leatherface y mettaient du leur, charcutaient avec bonheur et envie, même si s’adonner au gore n’était pas l’intention de Carpenter qui, avant tout, cherchait à créer un climat d’angoisse et de suspens rendant hommage à Hitchcock. Et puis c’est une allégorie sur le Mal avec Myers en incarnation totale, quasi abstraite, vidée de substance, objectera-t-on. C’est une parabole sur l’innocence meurtrie et envolée, rétorquera-t-on aussi. Sans doute, mais cela justifie-t-il de faire un film dépourvu de tant d’enjeux et de tension ? Pourquoi Halloween est-il si barbant, si inconsistant du début à la fin ? Comment peut-on accoucher d’un machin pareil et, quelques années plus tard, réaliser deux chefs-d’œuvre, deux références du film fantastique et d’horreur (Christine et The thing) ?
John Carpenter sur SEUIL CRITIQUE(S) : The thing.