Sophia et Karim sont sœur et frère unis, très fusionnels, trop fusionnels même, voire carrément trop. D’ailleurs Monia Chokri, l’une des muses de Xavier Dolan, s’est inspirée de sa propre relation (fusionnelle donc) avec son frère pour écrire le scénario de son film. Une relation mise à l’épreuve des sentiments quand le frère tombe amoureux d’Éloïse, la gynécologue de la sœur. Les problèmes commencent, le ton monte, la guerre est déclarée, avec les parents au milieu, divorcés mais qui s’aiment toujours. Sophia, jalouse, ne supporte pas de passer au second plan. Sophia a peur de perdre la précieuse complicité qu’elle a avec Karim et qui semble la maintenir hors de l’eau, la faire tenir alors que tout s’enraye autour d’elle.
Parce que pour Sophia, c’est la cata. Auteure d’une thèse obscure sur les "intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continuateurs d’Antonio Gramsci", célibataire et sans emploi, trop qualifiée mais sans expérience, venant d’avorter et squattant chez son frère (tant) chéri, Sophia n’avance pas. Ne sait pas vraiment ce qu’elle veut. Veut travailler mais refuse les jobs galères (agent de stationnement) ou d’aller bosser en banlieue. Voudrait un mec mais exècre les plans arrangés au resto. Sorte de modèle québécois de cette chère Fleabag, la voix off et les regards caméra en moins, tout aussi acerbe et tout aussi paumée, Sophia va devoir se prendre en main (amours, boulot, dodo) suite à la rupture (l’émancipation) forcée d’avec son frère qui, lui, roucoule de bonheur avec Éloïse, évidemment parfaite, elle.
Chokri se met en quatre pour donner à son film une vitalité qui ne faiblit que rarement, multipliant les moments pop, les cadrages et les décalages, les engueulades et les vacheries, les musiques et les chansons. Ça fonctionne, évidemment. C’est pétillant et inventif, souvent très drôle (à peu près toutes les critiques de la Terre l’on dit, mais oui et re-oui, ça ressemble à du Dolan des premières fois et il n'y a rien de mal à ça), mais Chokri, visiblement hyper confiante dans son déferlement d’énergie et d’expressivité, en oublie de resserrer son montage (le film fait presque deux heures, soit une bonne demi-heure de trop) qui, de fait, n’évite ni l’ennui ni les répétitions ni les scènes gadget. En revanche, elle a visé juste en confiant le rôle de Sophia à Anne-Elisabeth Bossé, géniale et irrésistible en grande sœur dégingandée qui voudrait bien vivre sa vie, avoir un chum et, plus simplement, être heureuse si possible, avec ou sans frangin comme chaperon.
Monia Chokri sur SEUIL CRITIQUE(S) : Simple comme Sylvain.