Par quoi commencer ? On ne sait même pas. Le nouveau film d’Arnaud Desplechin est d’un tel sinistre, sorte de caricature rabougrie de son cinéma, qu’on ne sait même pas par quoi commencer. Par quoi dire face à tant de maladresses et d’insignifiance. Par la cohorte de personnages peu attachants ; pire, détestables pour certains ? L’interprétation limite (limite zéro s’entend) des deux têtes d’affiche ? L’inanité d’un scénario incapable de développer correctement son thème principal ? La mise en scène sans éclat ? Le manque total d’émotions ? Tout est si précisément raté dans Frère et sœur que c’en est précisément gênant, d’autant quand on apprécie le cinéma de Desplechin, et ce depuis ses débuts, et ce même dans ses instants de relative faiblesse.
Par quoi commencer donc ? Par ce qui, sans doute, contrarie le plus, c’est-à-dire ce scénario nébuleux s’égarant dans de nombreux motifs, ceux récurrents chez Desplechin (la famille, le théâtre, la mort, la maladie, Roubaix, la littérature, le poids des mythes, le tumulte des émois, les conflits intimes…) et qu’il avait remisé depuis Les fantômes d’Ismaël, en oubliant de traiter celui qui accapare tout le film. À savoir cette haine farouche et tenace qui s’est installée entre un frère, écrivain et poète, et une sœur, actrice reconnue. Les raisons de cette haine ne seront d’ailleurs jamais vraiment claires, à peine effleurées, libres d’interprétations, si bien que celle-ci apparaît d’abord comme un prétexte (le frère et la sœur, se maudissant pourtant depuis des années, se réconcilieront en quelques minutes) permettant à Desplechin d’aborder (de broder) autour d’autres sujets, mais qu’il ne fait que survoler tant il y a profusion.
De fait, tous les protagonistes croisés, perdus dans de trop nombreux entrelacs scénaristiques, sont réduits à des presque stéréotypes, parfois des coups de vent, et envers lesquels il est difficile d’éprouver quoi que ce soit (le frère gay, le beau-frère insipide, la fan roumaine, l’épouse iranienne, l’ami psy…). Quant au frère et à la sœur, n’en parlons pas, enfin si, il faut bien en parler : comment diable Desplechin s’y est-il pris pour les rendre si antipathiques ? Pas une seconde nous n’aurons pour eux une quelconque empathie malgré tout ce qu’il s’échine à leur infliger (décès d’un enfant, accident des parents ensuite à l’article de la mort, dépression, tentative de suicide, alcool, drogues…).
Et pendant que Desplechin s’embourbe narrativement et filme avec peu d’inspiration (même la scène d’envol au-dessus de Roubaix fait cheap), Marion Cotillard et Melvil Poupaud font ce qu’ils peuvent pour incarner des personnages exaspérants, et qu’aucune situation ne saurait sauver de l’exécration totale. Et puis le problème, c’est qu’ils le font mal. Cotillard fronce le nez et arbore un sourire crispé, affichant en quasi permanence comme une grimace de douleur, tandis que Poupaud se contente de singer Mathieu Amalric, l’acteur fétiche de Desplechin, visiblement pas dispo sur ce (mauvais) coup-là. Bien lui en a pris.
Arnaud Desplechin sur SEUIL CRITIQUE(S) : Trois souvenirs de ma jeunesse, Les fantômes d'Ismaël, Roubaix, une lumière, Tromperie.