Toujours se méfier, avec Jordan Peele. Toujours y regarder à deux fois. Get out et Us n’étaient pas seulement des films s’appropriant, à leur manière, le genre horreur, le genre cauchemar qui vous tombe dessus et vous happe, mais des œuvres transformant une matière fictionnelle hyper codée en propos sociétal. Car derrière l’angoisse et les jump scare se décelait une réflexion sur la problématique raciale, sur l’identité noire. Question de regard donc. Ça tombe bien : il n’est (presque) question que de ça dans Nope. Du regard et de ses dérivés (de ses dérives ?). Cinéma, télévision, spectacle, œil, photographie, caméra, le tout sous l’égide d’Eadward Muybridge (qui d’autre ?), inventeur de l’image animée. D’une nouvelle façon de voir.
Et dont la célèbre séquence du jockey à cheval serait une sorte d’héritage mémoriel (et familial) hantant, structurant même, le récit du film, et ce jusqu’à son ultime image. Mais Nope, c’est d’abord une histoire de rencontre extraterrestre dans la droite lignée d’un Spielberg (Rencontre du troisième type et La guerre des mondes) ou d’un Shyamalan (Signes). Ou plutôt d’une menace. De quelques humains affrontant une entité extraterrestre surgie soudain des nuages immobiles de la pampa californienne. Une espèce de soucoupe volante organique aspirant ce qu’il lui faut pour se sustenter (mais recrachant ce qui ne lui convient pas) et qui, vu de dessous, ressemble, tiens tiens, à un gros œil (avant de se "déplier" en une majestueuse et surprenante créature dont il faut révéler le minimum).
Très vite, cette lutte se transformera en quête du "plan parfait", de ce plan qui parviendrait à saisir, et pour offrir aux yeux de tous, et pour en retirer argent et gloire pourquoi pas, cette entité mystérieuse dans le ciel. Cet extraordinaire, ce jamais vu. Peele, sans jamais se départir d’un sens évident du divertissement et du mélange des genres (western, fantastique, fable morale, blockbuster…), interroge le rapport de nos regards face à l’industrie du spectacle (de la sitcom à la publicité en passant par le cinéma ou le parc à thème). Face à un système, Hollywood en premier lieu, où l’image n’est plus qu’une norme d’exploitation (hommes, femmes, enfants, animaux) vidée de substance, et dont l’alien serait l’inquiétante représentation.
Ne pas le regarder, ne pas céder à son attraction, c’est lui échapper à coup sûr : le message est on ne peut plus clair, et peut-être même un peu trop signifiant. C’est d’ailleurs le principal défaut du film : Peele a tendance à marteler ses idées, son sous-texte, à y aller aux forceps quitte à sacrifier l’écriture de ses personnages (aucun ne marque, aucun n’est intéressant) et une approche plus subtile dans les (nombreuses) thématiques abordées. Nope serait ainsi, très parfaitement, à l’image de son final : trop long, qui s’éparpille et se désintéresse de ses protagonistes dont le sort n’importe plus vraiment face au gigantisme programmatique déployé. Certes, difficile de bouder son plaisir tant le film en impose, sait offrir des visions de toute beauté, des visions de pure terreur. Mais difficile aussi, souvent, de ne pas trouver à y redire.