Le deuil, c’est un abîme qui s’ouvre soudain. Aux côtés de sa mère et de son grand frère, Lucas affronte cet abîme qu’est la mort brutale de son père comme l’a affronté, lui aussi, Christophe Honoré il y a plus de trente ans. Parce que Lucas, c’est lui. Le lycéen, c’est son histoire, un peu, beaucoup, carrément. Honoré raconte, Honoré se raconte. Sincère, impudique, hyper touchant. C’est un cinéma où on s’engueule, où on s’aime, baise, chiale, se demande, ne sait plus, revit enfin. Où une part d’innocence se corrompt d’un coup, sans prévenir, précipitant corps et âme dans un tumulte de sensations, d’égarements et de rencontres.
L’existence, devenue une "bête sauvage qui mord", propulse Lucas vers l’inconnu. Et, plus concrètement, à Paris, chez son frère Quentin, pas commode, et son coloc Lilio, tout en douceur, une lumière dans la nuit. Là, Paul vit son deuil presque sans y penser, trop occuper à rire et à espérer, à déambuler et à exulter, avant que la réalité ne vienne se rappeler à lui, entre douleurs et dépression. Honoré porte un regard à la fois tendre et cru sur le parcours de Paul qui est le sien jusqu’à l’acceptation du manque. Une forme d’apaisement sans doute. De ses souvenirs, de cette adolescence meurtrie par le manque paternel, il fabrique un film faisant la part belle aux ruptures, aux tentatives (voix off, confessions face caméra, montage heurté…) et au charnel.
Si, parfois, ces effets de style donnent l’impression de frayer avec le chichiteux, et si, dans le dernier tiers, une sorte de surcharge doloriste s’invite inutilement à un récit déjà costaud en larmes et en chagrin, Honoré, comme en équilibre, se débrouille toujours pour faire surgir, d’une scène magnifique (il y en a pas mal) ou d’un faux pas (il y en a aussi), des émotions cash, entières, qui viennent nous saisir au col et à la gorge. Et puis il a trouvé en Paul Kircher un alter ego ado qui secoue, qui illumine le film même dans ses moments les plus graves. Ses interactions, affectueuses et complices, avec Erwan Kepoa Falé, l’autre belle découverte du film (loin des évidences Binoche et Lacoste), sont d’ailleurs ce que l’on retiendra en premier du Lycéen, et on se dit qu’un film rien que sur ces deux-là, sur ces deux personnages-là, Paul et Lilio, faisait franchement envie et même, en étant un poil mauvaise langue, davantage envie que celui-ci.
Christophe Honoré sur SEUIL CRITIQUE(S) : Dans Paris, Métamorphoses, Plaire, aimer et courir vite, Chambre 212.