"Qu’est-ce que tu ferais si je mourrais aujourd’hui ?" lui hurle-t-il avant de s’éloigner, sans attendre sa réponse. "Je mourrais demain" dit-elle enfin dans un murmure. Sublime exergue, exergue d’un amour filial impossible qui emporte tout en quelques microsecondes, suspend le temps, souffle au cœur, et pouvant résumer à elle seule toute la complexité de la relation chaotique et confuse qu’entretient Hubert avec sa mère. Confession surréelle, fantasme nombriliste ou autoportrait culotté (Xavier Dolan s’expose à tous les niveaux), J’ai tué ma mère se joue magnifiquement d’un quelconque genre intimiste, désincarné ici pour se transfigurer en tourbillon maniériste, en perpétuelle recherche de style(s) et de rythme(s) (décadrages, jeux des couleurs, fugues allégoriques, témoignages face caméra) avec ce que cela comporte d’éclats et de défauts, empruntant autant à Gus Van Sant ou Wong Kar-waï (les ralentis sur fond de valse mélancolique) qu’à la peinture et la photographie.
Hubert, garçon immature et capricieux, instinctif et sexuel, mèche romantico-gothique et pantalon slim, s’étripe verbalement (et constamment) avec sa mère (surprenante Anne Dorval, très loin de ses rôles dans Le cœur a ses raisons), rombière aux goûts kitsch et criards sur laquelle semblent s’envisager toutes les fautes, se concentrer tous les motifs de ces nombreuses crises fusionnelles. Mais elle est également une mère possédée d’un amour flagrant, maladroit, trop grand peut-être pour son fils, et d’une humanité sincère quant à l’homosexualité de celui-ci (très belle scène du baiser dans la boîte de nuit) ou aux réflexions déplacées des autres (le directeur du pensionnat remis à sa place avec violence).
Chacun culpabilise l’autre, le manipule, le martyrise aussi. Vains mécanismes face à l’abîme sentimental qu’est leur mal amour, et qui paraissent cristalliser cette recherche frénétique d’un semblant de sérénité et de complicité, de foyer harmonisé qu’Hubert désire en silence à Antonin (son petit ami) et sa mère, décalque inverse du sien ouvert à toutes les incompréhensions et toutes les mésententes.
Règlements de comptes hystériques, prises de becs anthologiques pour un oui ou pour un non, très drôles dans leur entêtement dérisoire, dans leur exagération et leur côté presque "cliché" de la scène de ménage, puis plus dramatiques finalement quand on s’aperçoit qu’il n’y a rien à faire, que ces deux-là ne se comprendront jamais tout en s’aimant profondément. Le film les laisse calmes et apaisés, assis sur des rochers en s’étreignant, mais comme en attente d’une nouvelle déflagration affective prête à les déchirer, encore.
Xavier Dolan sur SEUIL CRITIQUE(S) : Les amours imaginaires, Laurence anyways, Tom à la ferme, Mommy, Juste la fin du monde, Ma vie avec John F. Donovan, Matthias et Maxime.