Films et scandales 3/7 - 2003
Le travail constant et transgressif de Larry Clark autour de l’adolescence (son recueil de photos Tulsa, ses films Kids et Bully), de son corps éphèbe, désirable, de sa sexualité et de sa sacralisation, travail d’ailleurs admiré ou contesté par la critique, a trouvé ici son apex iconographique et érotique. À un point même que Ken Park, initialement interdit aux moins de 16 ans, déclencha foudres et débats dans les sphères de l’intelligentsia française (et européenne) pour, enfin, se voir interdire aux moins de 18 ans lors de sa sortie nationale. C’est là l’un des grands mystères du cinéma qui, régulièrement, ébroue, habite et rend moite les critiques de tous poils prompt(e)s à s’offusquer ou se pâmer devant une telle "audace" : la représentation d’actes sexuels non simulés (L’empire des sens, Romance, Intimité, 9 songs, Shortbus…). Le sexe, bien qu’exposé frontalement, n’a pourtant aucune valeur pornographique en soi, et qu’il s’émancipe de toutes les limites possibles chez Verhoeven, période néerlandaise (Turkish delices, Spetters, Le quatrième homme), Brisseau ou Clark, il demeure avant tout réflexif, explorateur d’une psyché et d’un état, d’un amour ou d’une libération.
Ken Park détaille le quotidien de quatre adolescents d’une banlieue américaine en butte à une autorité parentale déliquescente, ensevelis sous l’ennui, la vacuité ou les violences familiales. Le film s’interroge surtout, à travers leurs désirs libres et leurs esquives charnelles plus ou moins marquantes (la scène de masturbation de Tate, sans compromis), sur l’intérêt personnel (et pluriel, social), sur le prolongement moral que peut avoir encore le sexe à notre époque. Est-il possible d’y voir toujours une émancipation, un contre-pouvoir militant, "politique", comme il pouvait l’être dans les années 70 (quand, aujourd’hui, Internet le banalise et le rend accessible à tous) ? Moins affranchi et contestataire contre une société rejetée en bloc, il semble aujourd’hui être davantage un repli physique face à celle-ci qui s’autorise à l’escamoter dès la moindre ligne franchie.
La dernière scène du film, très explicite dans ses détails physiques, semble aller dans ce sens ; Shawn, Claude et Peaches s’adonnent ainsi à un triolisme délicieux et décomplexé, dernier rempart à une noire réalité (inceste, puritanisme et mort). Il y a soudain un espace apaisé, hors du temps, qui s’ouvre autour d’eux, espace où réconfort, jouissance et (re)création du monde (d’une utopie ?) s’harmonisent pour, dans un kaléidoscope purement sensuel, conscient, se décharger de valeurs compromises et s’offrir comme un nouvel Éden, loin des injures.
Larry Clark sur SEUIL CRITIQUE(S) : The smell of us.