Des pseudos étranges et qui pétillent, éclatent comme des bulles, Mimi de Meaux, Dirty Martini, Kitten on the keys, des frous-frous, des boas et des faux cils, des Vénus stéatopyges inscrites dans une tradition toute fellinienne, grandes gueules, hors des normes et plantureuses, ballets et numéros la poitrine ronde sous les projecteurs, les paillettes par milliers en l’air, ça aguiche, ça virevolte, ça s’exhibe, hôtels oubliés aussi, coulisses solitaires, miroir ô mon miroir, un prince grenouille en père débrouille, voilà la poésie traviole qui déborde des bobines de ce Tournée bien luné. Le film n’a pas vraiment de défauts, rien qui fasse tache, peut-être a-t-il un peu du mal à se terminer, à nous laisser partir, peut-être est-il parfois brouillon et indécis, pourtant comment expliquer qu’il laisse plus ou moins indifférent, qu’il se regarde sans ennui mais sans joie, sans l’euphorie qu’un tel big bazar supposait, promettait éventuellement avec toute cette musique et toute cette fantaisie et toute cette émotion partout ?
En suivant le parcours à la marge d’un show d’Américaines gouleyantes (plus icônes que personnages à part entière) et de leur producteur à la masse (belle figure de cinéma à la Guido Anselmi, au bord d’un trou invisible, scintillant parfois), Mathieu Amalric s’amuse des moult accrocs (et rencontres) que l’univers, son univers d’éclats et de spectacles, permet ou improvise en cours de route et par tous les transports (Well I might take a boat or I’ll take a plane, I might hitch hike or jump a railroad train). Choc des corps et des cultures, des aspirations et des désirs, de la fiction et du quasi documentaire, de l’existence quand le privé s'en mêle, s’emmêle au strass et au kitsch (ou inversement) : ce sont ces folles synergies pas toujours en harmonie, mais d’une liberté plus folle encore, que Tournée met en scène comme on jouerait sa vie entre rires et absurde, cigarettes et quelques larmes.
L’œuvre est sincère, terrienne, multiple, dispose à la lumière et au goût du jour le "new burlesque", mouvement artistique qui enchevêtre strip-tease, fantasque visuel et expression revendicative, mais sa magie et sa beauté restent comme prisonnières derrière la toile, les intentions, ou semblent au moins avoir du mal à nous atteindre, à percer nos petits cœurs comme ça. Alors c’est quoi le problème ? Pourquoi la soûlerie est trop sage, pourquoi la chair est triste quand l’écran se rallume ?
Quand toute la bande posera enfin ses valises et ses fesses dans un palace désert et abandonné, grand bateau ivre de champagne échoué le long des plages, rien n’aura retenu et rien n’aura tapé dans le mille. Tournée a une saveur sucrée et falote à la fois ; on reconnaît le talent, on invoque l’enthousiasme, la générosité du trait, mais sans réellement comprendre pourquoi le film a obtenu le Prix de la mise en scène à Cannes, ni pourquoi aussi tout ça nous passe carrément par-dessus la tête, ni pourquoi encore on pense déjà à demain, à nos prochains voyages ou nos futures chimères.
Mathieu Amalric.