Donc oui, n’en déplaise aux complotistes et fans de Stanley Kubrick, l’homme a bien marché sur la Lune. Neil Armstrong et Buzz Aldrin sont restés plus de deux heures à se balader, en ce lundi 21 juillet 1969, sur le sol poussiéreux et rocailleux de notre satellite, y laissant à jamais leurs empreintes. Cet exploit scientifique et humain sans précédent, outre les centaines de documentaires, d’ouvrages et d’articles qu’il a suscité, a inspiré le livre de James R. Hansen publié en 2012, First man: The life of Neil Armstrong, biographie "officielle" d’Armstrong adaptée ici par Josh Singer et mise en scène par Damien Chazelle.
Car davantage que le récit méticuleux de la mission Apollo 11, First man est l’histoire d’un homme obnubilé par son travail au détriment de sa famille ("La Lune lui est montée à la tête", dira son épouse), figure paternelle rigide (voir la scène, glaçante, des adieux d’Armstrong à ses fils) hantée par la mort de sa fille, cette mort intime altérant déjà espace et présent dans Premier contact ou Solaris. Taiseux et comme impassible (un rôle parfait pour Ryan Gosling qui fait… du Gosling), Armstrong paraît fasciner, presque vampiriser Chazelle qui, à l’image de son héros, livre un film tout aussi sec et rigoureux (si l’on excepte la séquence du "bracelet", faute de goût impardonnable).
Cette sobriété émotionnelle (même la dernière scène n’y coupe pas, sans un mot et à travers une vitre) se retrouve jusque dans les séquences spatiales et de décollages, anti-spectaculaires au possible, Chazelle privilégiant une immersion totale, quasi subjective (on reste avec les personnages dans les capsules et les cockpits exigus, saturés de bruits et de vibrations), à un point de vue plus général ou une réalisation tape-à-l’œil. Dans cette volonté de s’éloigner à tout prix du biopic glorieux et consensuel, Chazelle n’occulte rien des écueils et ratés des nombreuses missions (du programme Gemini à celui d’Apollo), que ce soit la dangerosité constante à laquelle était confrontée pilotes et astronautes, les sommes délirantes dépensées (et les controverses qui allaient avec) ou les morts qui s’enchaînaient. Ce n’est pas la grande histoire qui intéresse Chazelle, déjà connue, déjà écrite, déjà montrée, mais celles d’un dévouement obsessionnel (il y a même quelque chose de suicidaire là-dedans) et d’un deuil qui n’en finit pas.
Damien Chazelle sur SEUIL CRITIQUE(S) : Whiplash, La La Land, Babylon.