Par quoi commencer ? Quoi dire, que faire, pourquoi s’égosiller ? Comment appréhender un tel film dépassant le simple cadre du cinéma de par son envergure marketing et même mythologique ? Peut-être ça : que c’est d’abord du rêve, que Star wars, c’est des étoiles plein les yeux (et ça l’est, assurément). Qu’il faut se laisser porter par l’imaginaire et la magie, par notre regard d’enfant, d’avant, d’antan. Oui, mille fois oui, mais non. Non parce qu’avec un minimum de recul, de bon sens et d’honnêteté intellectuelle par rapport à tout ça, il est simplement impossible de faire l’impasse sur l’indigence d’un scénario tout en creux et en ratés.
On a parlé beaucoup, et même beaucoup trop (comme si ces arguments seuls permettaient de balayer tous les autres et d’endiguer toutes éventuelles objections), de nostalgie assumée, de retour aux fondamentaux et de renouveau du mythe : certes, ce nouvel épisode évite l’écueil synthétique et froid des épisodes I, II et III (il était, évidemment, hors de question de réitérer le fiasco critique de cette trilogie-là en revenant urgemment à l’essence de Star wars), certes il le fait bien, mais certes il le fait sans âme. Techniquement, il n’y a pas grand-chose à redire, c’est du bon boulot, les images sont belles (les vaisseaux échoués dans le désert), le rythme est trépident, sachant doser à dessein chaque apparition des figures tutélaires de la saga : chacun son tour et puis s’en vont.
J. J. Abrams fait correctement son job, mais sans rien insuffler d’autre que de vieux schémas qui ont fait leur temps, et sans rien proposer de substantiel, de profond ou d’émouvant (la biiip de biiip émeut autant qu’un chat écrasé sur la route), sinon la banalité d’un cahier des charges (clins d’œil, références, emprunts…) appliqué jusqu’à la transparence pour faire plaisir à une horde de fans agressifs et obtus, et comme s’il fallait envers et avant tout les contenter en le respectant à la lettre, quasi au millimètre près, avant de faire du cinéma. Cela se ressent évidemment dans le scénario qui aligne les situations attendues et convenues, sinon inutiles (le discours fascisant du général Hux, la chasse aux monstres dans le vaisseau de Han Solo, grand moment de solitude…). Ça manque d'exigence, ça manque d’audace, de souffle et de créativité ; les personnages, eux, manquent clairement d’ampleur et de charisme (Kylo Ren, même pas peur), tout est formaté, tout est surligné, programmé d’avance.
C’est littéralement du cut-up de la trilogie d’origine (mais sans les Ewoks, c’est déjà ça) que n’aurait pas renié Kerouac ou Burroughs, soit la revanche de la vengeance de l’Empire qui re-contre-attaque la résistance qui retrouve la force grâce au retour d’un Jedi malgré la menace d’une nouvelle étoile de la mort qui tue (ouf), le tout sous couvert de sempiternelles embrouilles familiales (je suis ton père, tu es ma sœur, c’est notre fils, c’était mon grand-père, etc. : on ne s’en sort plus). Quant aux raccourcis et autres invraisemblances, mettons ça sous le coup d’une ellipse de 30 ans et d’un univers étendu (série, romans, bandes dessinées, jeux vidéo…) qu’il faut sans doute connaître sur le bout des doigts pour mieux appréhender les "négligences" de l’intrigue (à ce sujet, voici quelques liens utiles, ici et là).
La vraie audace du film si, objectivement, on peut parler d’audace, c’est de faire des deux héros principaux une femme (Daisy Ridley, convaincante) et un black (John Boyega, horripilant). Ils ont dû se dire chez Disney que c’était faire la nique au consensuel et au racisme que d’avoir un ratio féministe et ethnique en tête de gondole, même si, pour le coup, il y avait là un risque à perdre pas mal de spectateurs en Arabie Saoudite et au Texas. Et les spectateurs, c’est de l’argent, et l’argent, c’est encore plus d’argent pour se payer une offensive publicitaire indécente déclinable sur des années et des années (deux nouveaux épisodes de prévus, des spin-offs en bataille…). Ça plus Marvel, voilà donc des lendemains qui déchantent. Voilà donc les deux mamelles du cinéma moderne que nous aurons à téter jusqu’à l’infamie (et au-delà).
J. J. Abrams sur SEUIL CRITIQUE(S) : Alias, Mission : Impossible III, Star Trek, Star Trek into darkness, Super 8.