Norman Bates, avec sa double personnalité, ses oiseaux empaillés et son penchant pour les robes de maman, peut aller se rhabiller. Voici Kevin Crumb, vingt-trois personnalités au compteur et une vingt-quatrième sur le point d’apparaître s’il parvient à grignoter les intestins de trois jeunes filles appétissantes et court-vêtues. M. Night Shyamalan, le roi du twist final revenu en simili état de grâce depuis The visit après avoir enchaîné les navets (Phénomènes, Le dernier maître de l’air et After earth) qui l’avaient laissé pour mort (artistiquement), s’est inspiré du cas controversé de Billy Milligan et du thème du trouble dissociatif de l’identité pour construire le scénario de ce Split tarabiscoté qui, jamais, ne saura tenir ses engagements.
Ce qui avait l’air de commencer comme un formidable thriller psychologique à l’ambiance plutôt malsaine (avec à la clé une lutte passionnante, retorse et mentale, entre Kevin et Casey, l’une des trois adolescentes kidnappées et séquestrées) déçoit pourtant nos attentes quand Shyamalan croit bon, en cours de route, de cavaler soudain vers une sorte de mauvais slasher avec grosses ficelles apparentes. Et, ce faisant, de transformer Kevin en un simple phénomène de foire psychopathe qui évacuerait toute la complexité (promise) de son personnage (et ce jusqu’à un final décevant pas loin de basculer dans le grotesque. Mais au moins peut-on admirer la parfaire dentition de James McAvoy…).
Tout le mystère (les traumas d’enfance de Kevin, la vision fugace des Grandes baigneuses de Cézanne où la femme est multiple, doublée et dédoublée, et reste sans un visage, sans une identité établie), toute la tension et tout l’intérêt aussi qu’il pouvait y avoir (et se créer) entre Kevin et ses trois prisonnières, cherchant pour s’enfuir à confronter et à opposer ses personnalités diverses, se perdent peu à peu en lourdeurs scénaristiques (les flashbacks laborieux sur le passé de Casey, même si essentiels à l’histoire) et en vains bavardages (les entrevues avec la psychiatre de Kevin finissent par se ressembler et ne plus rien apporter à l’intrigue).
McAvoy est forcément l’attraction numéro un du film avec ce rôle multiple et fou (même si réduit à seulement cinq personnalités), livrant une interprétation émérite qui aurait pu, très facilement, virer au cabotinage. Face à lui, Anya Taylor-Joy, la révélation de The witch, semble déjà s’imposer comme une grande et sait jouer des variations de son énigmatique visage. Enfin, le raccord avec Incassable, surprenant d’abord, laisse finalement un goût amer : était-il à ce point nécessaire de rattacher ce chef-d’œuvre revisitant le mythe du super-héros à ce petit film inoffensif qui, pas une seule seconde, ne parvient à en retrouver la rigueur et la puissance émotionnelle ?
M. Night Shyamalan sur SEUIL CRITIQUE(S) : Phénomènes, Glass, Trap.