C’est tiré d’une histoire vraie, comme on dit. L’histoire vraie d’une affaire, l’affaire Bruno Reidal, brutale et insondable. Ou comment, en 1905 dans un petit village du Cantal, un séminariste de 17 ans, chétif et timide, a commis le meurtre par décapitation d’un enfant de 12 ans. Quelques heures après avoir commis son crime, Reidal se rendit lui-même aux autorités. Si, pour ces dernières, tout paraissait limpide (nature et circonstances du crime, identité de l’assassin et de la victime), demeurait pourtant comme un mystère, une sorte de point invisible, un trou noir : celui du pourquoi. Et, par extension, du qui : qui est Bruno Reidal ?
Qui est donc ce jeune homme, si discret et brillant, qui aura commis le pire comme s’il s’y savait résigné ("Quoi que je fasse, les scènes de meurtre sont pour moi pleines de charme") ? Pour tenter de percer l’énigme Reidal, Vincent Le Port s’est plongé dans les archives du professeur Alexandre Lacassagne, éminent criminologue de l’époque qui dirigea l’expertise médico-légale de Reidal, et dans les mémoires de celui-ci écrites sous l’impulsion de Lacassagne. Ainsi, le film suivra "la pensée" de Reidal (qui, en voix off, revient sur le déroulement de sa vie et ses faits les plus marquants) tout en gardant une distance : l’idée n’est pas d’être dans la tête de Reidal, d’être à sa place, mais plutôt de l’accompagner dans ses souvenirs.
D’être à ses côtés dans son cheminement intérieur, dans la verbalisation de ses souffrances (une mère violente, une agression sexuelle, un rapport maladif à la masturbation, une passion secrète et mortifère, son impossibilité à communiquer, à s’épanouir…) et de ses pulsions morbides qu’il a, très tôt, développées (et combattues) à l’encontre de camarades de classe dont il enviait à peu près tout. Et en sachant, très tôt aussi, qu’il y succomberait. Paré d’une rigueur stylistique et narrative absolue (quelque part entre Robert Bresson et Michael Haneke, mais débarrassé de l’aspect professoral) qui confine à une sorte d’étrangeté, voire de fantastique, le film se construit quasi entièrement par la voix neutre et sans affect de Reidal (Dimitri Doré, saisissante révélation) racontant le lent déroulement (et dérèglement) des choses, et tentant lui-même d’y déceler une vérité, ce fragment d’inconnu et de ténèbres qui l’a poussé à tuer.
Pour autant, Le Port élude toutes explications trop rationnelles, qu’elles soient sociales ou psychologiques, et esquissées néanmoins par Reidal lors de son récit, privilégiant à la place la lutte d’un jeune homme contre ce qu’il sait être, et contre la profonde inéluctabilité du tragique ("À quoi bon lutter contre le destin ? Tu dois être assassin, ce qui doit arriver arrivera. Réjouis-toi."). De par son sujet et sa forme, le film pourra rebuter, et rebutera très certainement tant il va jusqu’à l’os, provoque un malaise. Ce serait passer à côté d’une première œuvre en tout point fascinante moralement, et impressionnante aussi dans ses volontés d’épure pourtant d’une grande force expressive.