Était-elle là, dans cette salle de restaurant, celle du fond, allongée parmi les morts et les blessés sans plus bouger ? Ou était-elle aux toilettes, tapie dans une cabine en refusant d’ouvrir à d’autres qui voulaient se mettre à l’abri, échapper aux terroristes ? Ou bien était-elle ailleurs, et avec qui ? Qui, ce soir-là, lui avait pris la main, lui avait dit qu’ils ne mourraient pas ici, reclus dans ce placard ? Mia ne se souvient plus. Trou noir. Les limbes. Après un attentat dans une brasserie dans laquelle elle s’était réfugiée en attendant la fin d’un orage, Mia tente de se relever en cherchant à se rappeler des événements dont elle n’a plus que des bribes. Des éclats et des flashs. Et des fantômes qui traînent autour, qui l’accompagnent.
Alice Winocour s’est inspirée des souvenirs de l’expérience de son frère, présent au Bataclan lors de l’attaque terroriste du 13 novembre, pour écrire Revoir Paris. Elle a aussi rencontré des psychiatres qui lui ont parlé de cette notion de "diamant" qui, au cœur du traumatisme, pouvait survenir. Toutes ces choses positives surgissant soudain malgré l’horreur et la tragédie : des liens forts qui se nouent dans un regard ou des mains qui se serrent, des envies de tout changer, des relations amicales ou même amoureuses… Le diamant de Mia, c’est la main de ce cuisinier qu’elle a tenue lors de l’attentat, et se lançant à sa recherche comme un besoin vital, besoin de le voir, de lui parler peut-être, de croire qu’il existe, qu’il a existé, qu’ils étaient ensemble, unis alors en plein cauchemar, raccrochés à la vie dans ces mains qui se sont jointes. Comme une évidence pour avancer. Comme une obsession à la fin.
Mia rencontrera également d’autres victimes, et dans sa trajectoire solitaire, saisira le sens du collectif, de l’entraide, du partage. Par exemple avec cet homme grièvement blessé à la jambe, ou cette jeune fille qui a perdu ses parents, toutes et tous abîmés, mais toutes et tous résilients dans leur soif de vérité, de refaire fonctionner un corps, de traquer un ultime témoignage de présence, un dernier au revoir (la scène à l’Orangerie, magnifique). Sans jamais céder à quelconques pathos ou sensationnalisme (la reconstitution de l’attentat, distanciée mais précise), mais usant, peut-être, d’un côté un peu appliqué là où on attendait plus d’impact, de frénésie de vie, Winocour suit Mia dans sa quête de reconstruction avec, à la fois, une belle sensibilité et une dignité dans l’appréhension des faits et des infinies souffrances.
Alice Winocour sur SEUIL CRITIQUE(S) : Augustine, Maryland, Proxima.