Continuant à explorer les joyeux méandres du couple (ses crises, son évolution, ses libertés, sa fantaisie), les frères Larrieu s’amusent une nouvelle fois à prendre les chemins de traverse pour narrer les relations inaltérables de l’homme et de la femme. Mais il n’est plus question ici de peindre ou de faire l’amour, ni même de nymphomanie ou de voyage dans les Pyrénées (quoique), mais de fin du monde, son agonie et sa disparition. C’est l’histoire d’un homme qui écrit, d’un homme qui se rappelle, et peut-être même qui imagine, qui fantasme l’apocalypse. Car Les derniers jours du monde peut éventuellement se voir comme la belle métaphore d’une histoire d’amour qui s’est terminée, amour imprévu, insaisissable et lyrique.
À travers sa structure labyrinthique faite d’allers-retours géographiques, temporels et sentimentaux, le secret de ce film troublant, tour à tour réfléchi et tourmenté, aventureux et pessimiste, est à considérer comme une leçon de vie intrigante : chaque fin d’une histoire d’amour est un peu comme une fin du monde pour chacun (plus rien n’a de sens, plus rien n’existe, plus rien n’a de conséquences). À chaque rupture amoureuse, à chaque femme qui disparaît, un nouvel événement, une nouvelle étape destructrice s’acheminent dans l’ordre des choses. Fini l’insouciance des premiers émois et des premiers rapports, ce sont désormais les derniers jours du monde, et principalement ceux de l’amour, qui déchirent les cœurs et les corps.
Il y a à prendre en compte aussi l’épicurisme évident de tout cela, si cher, de film en film, aux frères Larrieu. Qu’importe le temps du chaos et des bouleversements, et plutôt que d’abandonner ou s’apitoyer, faisons l’amour à tout va. Vivons. Buvons. Aimons et baisons comme autant de répercussions physiques, de fugues hédonistes à la catastrophe. Mais si le film, très large finalement dans sa subjectivité et ses interprétations, se prévaut d’un fait, c’est bien celui qu’il ne suit pas vraiment de pistes, ne pose pas réellement de questions et n’apporte aucune réponse. C’est un film ambitieux et ouvert en qui il faut faire (et avoir) pleinement confiance. S’il met un temps à s’emporter, si l’ambiance et l’intrigue tardent à convaincre, il captive et fascine sur le long terme (les derniers trois-quarts d’heure sont réellement prenants).
Plusieurs scènes impressionnent (la feria à Pampelune, Paris dans le noir, des bouchons interminables évoquant le fameux travelling du Week-end de Godard), d’autres encore surprennent (le numéro de drague homosexuelle de Sergi López, les cadavres dans les chambres d’hôtel, la soirée dans le château, très Eyes wide shut), quand celles de panique et de désastre secouent parce qu’elles savent rester crédibles, sans effets spéciaux trop évidents. Les derniers jours du monde est un film étrange, décalé, au charme et à l’emprise indéniables, s’intéressant à l’amour et au désir qui survivent, frémissent encore dans les limbes du souvenir et jusqu’à celles d’une réalité en lambeaux.
Les frères Larrieu sur SEUIL CRITIQUE(S) : L'amour est un crime parfait, 21 nuits avec Pattie, Tralala.