Plus que brisées, les étreintes de Pedro Almodóvar paraissent tristement inhibées et s’ouvrent à une grande frustration plutôt qu’à un émerveillement. Atone, sans risque, constamment en attente, comme suspendue mais ne se manifestant jamais, Étreintes brisées est une œuvre encore à faire, à conclure et à embraser. Si, justement, l’élan sans cesse interrompu caractérise au mieux la relation brûlante de Mateo et Lena (Penélope Cruz, étrangement plébiscitée, pourtant ni plus ni moins agréable que d’habitude), était-il nécessaire de traduire ce déchirement sentimental par une mise en scène et un montage manquant singulièrement d’incarnation, de flamme et de rythme ?
C’est une certitude, Almodóvar s’enlise, périclite (évident déjà dans l’ennuyeux Volver), recycle sans se réinventer. Le cinéma, le désir, l’amour fou, la crise identitaire, les doubles, les femmes fatales, thèmes évocateurs et constants chez le cinéaste (et déjà précisément les mêmes dans son noir chef-d’œuvre foisonnant, La mauvaise éducation), à nouveau mis en abyme au fil d’un scénario qui alterne trop méthodiquement passé et présent, adultère et étude du septième art avec ce qu’il faut d’hommages platement explicites pour séduire quelques cinéphiles énamourés.
Surtout, il tarde à installer les personnages, les situations et les tensions. Quand, enfin, Lena et Mateo s’enlacent furieusement (et quand même ils se découvrent pour la première fois), le film semble palpiter soudain, s’ouvrir à la liberté, enivrer le temps d’un corps à corps fougueux mais trop court ; puis retombe dans un ennui poli, élégant, puis s’exalte à nouveau lors de la deuxième étreinte des amants (celle après la chute de Lena).
Entre-temps et après, Almodóvar discourt longuement sur une passion aveugle condamnée à l’oubli, sur la passion aussi de son art, jamais terminé, installe du rouge dans chaque recoin de ses plans graphiques comme autant d’appels à une ardeur survenant à peine, et termine enfin par un plan magnifique de mains caressant l’image d’un baiser au ralenti, comme en décalage, dans sa belle et aspirante simplicité, avec les révélations finales schématiques et l’indigeste solennité de tout le reste. On en viendrait presque à regretter les excès, les audaces et la flamboyance d’avant (La loi du désir, Matador, Attache-moi…) car dans les rares éclats de ces étreintes figées, compassées, Almodóvar ne passionne plus.
Pedro Almodóvar sur SEUIL CRITIQUE(S) : La piel que habito, Les amants passagers, Julieta, Douleur et gloire, La voix humaine, Strange way of life.