Le style Dumont, on reconnaît tout de suite. Ces paysages du Nord, ces plages du Nord, ces nuages du Nord et ces gueules du Nord (oreilles décollées, accents improbables, sourires édentés…) qui hantent, depuis le début, son cinéma singulier. Ce qui a changé, c’est le ton. Depuis P’tit Quinquin, fini le drame lourd, à bas le jansénisme, fuck la rigueur. Dumont veut faire rire tout en préservant ses marques et ses fidèles. Et puisque P’tit Quinquin a emballé (presque) tout le monde, Dumont récidive dans la comédie loufoque à base d’enquête mystérieuse, de gendarmes à la Dupond et Dupont (ou Laurel et Hardy) et de tronches locales pas possibles, agrémentés ici d’une famille bourgeoise et consanguine lâchée au milieu des dunes.
Résultat de la chose : on retrouve dans Ma Loute les mêmes défauts qui incommodaient dans P’tit Quinquin, en pire. Démultipliés. Jeu maladroit des comédiens non-professionnels (hésitations, approximations, regards en coin vers la caméra), burlesque trop prononcé pour être recevable, rythme comique et comique de répétition mal structurés, toujours à contretemps (n’est pas Jacques Tati ou Blake Edwards qui veut). Le grotesque affiché dans P’tit Quinquin, qui avait pour lui l’attrait et l’esprit de la nouveauté (en tout cas chez Dumont), semble ici recyclé artificiellement, surexploité jusqu’à la lie. Rien ne fonctionne, tout est laborieux. La farce est forcée.
Au cœur de la débâcle, surgit de fait l’unique intérêt du film : l’histoire d’amour étrange, quasi hors-normes, entre Ma Loute et Billie, où quand un anthropophage rencontre un(e) hermaphrodite. Deux personnages incroyables, follement romanesques, que Dumont ne parvient ni à étoffer ni à transcender, préférant s’attarder sur son petit théâtre du slapstick où, sans cesse, ça chute, ça trébuche, ça roule, ça saigne, ça gesticule et parle fort, ça joue les divas, les ténors (de la bêtise). Tout le monde en prend pour son grade (nantis comme culs-terreux) dans une vision schizophrène de l’Humain, coincée entre dédain volatile et compassion tardive. Et non, il ne suffit pas de quelques scènes gore, de lévitations et métaphores divines ou d’une Juliette Binoche surexcitée pour épater la galerie. Le film serait, finalement, à l’image exacte du commissaire Machin, lourd et amphigourique, peinant à s’envoler complètement pour ensuite se dégonfler dans un bruit de coussin péteur.
Bruno Dumont sur SEUIL CRITIQUE(S) : Hadewijch, Hors Satan, Camille Claudel 1915, France.