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France

Un gros morceau. Bruno Dumont a décidé de s’attaquer à un gros morceau, lui qui n’a jamais tremblé, de toute façon, face à ça, se frotter à du gros. Mysticisme, religiosité, figure martyr (Camille Claudel, Jeanne d’Arc), et même comédie, parce que la comédie, parce que savoir bien faire rire, ce n’est pas un truc facile, ce n’est pas donné à tout le monde, et Dumont s’est un peu planté là-dessus, d’ailleurs. Ce sera donc l’histoire de France, cette fois, carrément. Ou plutôt, par elle, l’histoire de nos médias actuels, réduits à du grand-guignol et à du buzz, de la défiance maintenant, et l’histoire de la violence, autour de nous, et nos regards dessus, nos façons de l’appréhender, de la goûter puis de la digérer.

Par l’histoire de France, France de Meurs, cette journaliste star obsédée par son image et sa célébrité et qui, soudain, et parce qu’elle a renversé un livreur sur son scooter, va vaciller, se fissurer en direct et déconstruire son existence, Dumont charge le monstre médiatique et celui des réseaux sociaux, et aussi la représentation du réel pensé d’abord comme une mise en scène, mais mis en porte-à-faux quand celui-ci vient à s’incarner, à vous rentrer dedans. France de Meurs, certes, mais désormais France sanglote. France pleure beaucoup même, elle n’arrête plus. Elle pleure sur son sort, ses malheurs, et parfois elle se rebiffe, mais souvent elle pleure. Sur ce qui l’entoure et dont elle prend conscience, un mari qu’elle méprise et un enfant qui l’agace, des sentiments trahis en sus.

Éventuellement les guerres ailleurs et quelques migrants sur un canot pneumatique, ou une femme qui s’est entichée d’un pédophile récidiviste. France, les yeux embués constamment, a changé son regard sur le monde. Paradoxalement, elle paraît voir mieux ainsi. Voir vrai ? Dumont, par les épreuves qu’il lui impose (pas grand-chose ne lui sera épargné, et il faut voir comment il fait disparaître, avec une cruauté inouïe qui sidère, deux personnages-clés du film), la transfigure. Car si son film commence comme une comédie acide sur les mass-médias et leur traitement de l’information, proche du divertissement égotiste en boucle, très vite le ton change.

Car de Meurs déprime. Le vitriol tourne au spleen cathartique, se sublime en chemin de croix sur les accords synthétiques de Christophe aux élans parfois badalamentiens (mais l’on savait l’amour fou de Christophe pour le cinéma de Lynch, alors pas de surprise). Et c’est là sans doute la partie la moins intéressante du film parce que Dumont, si ce n’est filmer constamment le visage glacé de Léa Seydoux, parfaite dans ce rôle risible, défiguré par les larmes et le chagrin, ne dis finalement rien de son personnage qui reste une simple représentation dans la démonstration, et pour lequel on compatit peu, étrangement ; et pour lequel on sait le caractère hyper allégorique, et par là trop évident (on ne s’appelle pas France de Meurs pour rien).

En outre, Dumont est on ne peut plus clair quand il parle de France, "un ectoplasme cinématographique dont les apparences étonnantes et humaines forcent le spectateur à interroger le réel dont elle n’est qu’un spectre". Un petit pion quasi sacrificiel (la routine chez Dumont) dans la broyeuse de l’info spectacle, rouage principal, mais rouage seulement, pas plus, d’une satire de la standardisation journalistique qui finit par se répéter, par tourner en rond (voir toute la partie avec les migrants, décalque inutile d’autres scènes vues avant montrant déjà l’artificialité d’un propos et de ses images). Il restera à France à accepter le présent, à embrasser le réel, ce réel qu’elle a trituré trop souvent, et qu’elle a ignoré trop longtemps. Et à Dumont de nous dire qu’il ne subsisterait, face à la violence du monde, que ce soit celle de pays lointains aux conflits armés endémiques, celle d’une fillette violée et tuée ou celle en bas de chez soi, un type qui vandalise un vélo par exemple, animé sans doute d’une colère "jaune", ne subsisterait donc que l’amour possible ou, du moins, un possible réconfort comme une tête se posant, doucement, sur une épaule.


Bruno Dumont sur SEUIL CRITIQUE(S) : Hadewijch, Hors Satan, Camille Claudel 1915, Ma Loute.

France
Tag(s) : #Films, #Cannes 2021

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