Au fin fond de l’Alberta, des enfants disparaissent. Par exemple ils jouent aux soldats dans la neige, puis la seconde d’après ils ne sont plus là. Des loups les auraient attaqués, emportés et dévorés. Un écrivain, spécialiste aguerri du canis lupus, se pointe, appelé à l’aide par la mère de la dernière victime. Un écrivain des villes confronté soudain à l’isolement, au froid et aux sombres secrets d’une communauté repliée sur elle-même, dérangée du ciboulot. Jeremy Saulnier, comme pas mal de metteurs en scène désormais (Scorsese, Cuarón, Bay, les frères Coen, Fincher…), a eu carte blanche de la part de Netflix en 2018 pour réaliser Hold the dark (puis, plus récemment, le réussi Rebel ridge).
Du coup, il a demandé à Macon Blair, son acteur fétiche, d’adapter le roman de William Giraldi pour en faire une sorte de thriller métaphysique à trous et à large(s) interprétation(s). Toujours obnubilé par le côté obscur de l’Amérique, Saulnier sonde une fois de plus la violence intrinsèque de son pays, qu’elle soit d’ordre personnel (Blue ruin), sociétal (Green room), raciste (Rebel ridge) ou, comme ici, archaïque. Entremêlant réalisme dur, humeurs ancestrales et sorties de route sanglantes (quelques scènes costaudes, dont une interminable fusillade qui laisse abasourdi), Saulnier tricote un film étrange ni totalement raté, ni complètement prenant, et dont on peine souvent à saisir les enjeux et la cohérence.
La faute à un scénario mal foutu qui, semblant faire exprès de cultiver l’opacité des personnages (quitte à les rendre inconsistants, voire ridicules dans certains de leurs comportements) et d’oblitérer, ou minorer, d’importants détails du livre, brouille les pistes et le propos du film pour finalement se saborder lui-même lors d’une conclusion décevante. L’ambiance est froide et crépusculaire. Tout le monde chuchote, prend un air très sérieux et met des heures à finir sa phrase. Saulnier ménage ses grands discours (sur la bestialité de l’homme, sa noirceur, sa propension à détruire…) et ses petits effets mais, bizarrement, tout cela donne l’impression de tenir davantage du trip sentencieux et ennuyeux que du vrai film d’atmosphère capable de nous tenir en haleine et, pourquoi pas, de nous emmener loin.
Jeremy Saulnier sur SEUIL CRITIQUE(S) : Blue ruin, Green room.