Après Buried et son enterré vivant, voici 127 heures et son… Quoi ? Enroché ? Encaillouté vivant ? Vie, amputation et gloire d’un jeune con égoïste (c’est lui qui le dit) qui, coincé 5 jours et 6 nuits par une grosse pierre dans un canyon de l’Utah, va devoir jouer du canif pour s’en sortir. C’est un peu comme du Saw (si tu veux vivre, coupe-toi l’avant-bras), mais c’est tiré d’une histoire vraie, alors c’est beaucoup moins drôle. Le drame incroyable d’Aron Ralston inspire carrément Danny Boyle qui, pour l’occasion, nous refait du Slumdog millionaire au fond d’une crevasse américaine, mais en mieux.
À la paralysie forcée d’Aron, Boyle oppose une tension et des mouvements incessants, de mise en scène (split screens, accélérations, formats), de l’esprit (souvenirs, rêves, délires), des éléments (soleil, nuages, ciel, eau) et même des sons (silences, musiques diverses). Quand d’autres préfèrent l’ascèse (Cube, Buried encore…), Boyle, lui, multiplie à l’envi les effets en tous genres. On pourra trouver ça gratuit, désespérément clippesque, ou alors complètement dans le ton et complètement prenant. Parfois ça passe, parfois ça casse (les plans macros dans la bouteille), d’où l’aspect hybride, foutraque de ce film qui en fait trop tout en parvenant à captiver et à entretenir un rapprochement physique, viscéral avec son héros (aucun "contrechamp" extérieur et inutile, l'action en cours se suffisant à elle-même).
On regrettera seulement que le scénario se perde parfois dans une psychologie de bazar au gré des hallucinations d’Aron, pour finalement terminer sa route droit dans un prêchi-prêcha sur la vie et le destin ; en même temps, dans une telle situation, l’esprit s’évade, se désagrège, ramène sans doute aux gestes les plus incongrus (se filmer, prendre des photos, laisser une trace), aux choses les plus simples et aux sentiments les plus essentiels (pour ses parents, sa famille, son ex-petite amie) quand il sait que le corps ne va plus pouvoir suivre. Boyle montre tout du calvaire d’Aron (le froid, dormir debout, boire de l’urine…) et ne lésine sur rien quand arrive l’instant fatidique et tant redouté : 5 minutes de boucherie épouvantable dans un pur style hard gore.
Cette énergie du désespoir, cet instinct de survie plus fort que tout, Boyle nous les transmet à chaque seconde du film, toujours avec une rare maîtrise (du montage, du rythme), et ce dès l’électrisant générique d’ouverture au son imparable du Never hear surf music again de Free blood. James Franco y est pour beaucoup lui aussi, de presque tous les plans, tour à tour agaçant et touchant, fort et vulnérable. Pour peu qu’on se laisse prendre, emporter par la vivacité de l’ensemble, qu’on accepte les façons de faire de Boyle (proches de la montagne russe) et qu’on zappe la tartine d’émotions un peu trop dégoulinantes à la fin, l’aventure et les frissons deviennent alors de folles récompenses.
Danny Boyle sur SEUIL CRITIQUE(S) : La saga 28, Sunshine, Slumdog millionaire, Trance, Steve Jobs, T2 Trainspotting.